Ragecomic = Facebook
Il est temps pour un petit post qui dit combien c’était mieux avant (attention, que celui qui pense que cela s’appelle du poujadisme aille se faire un peu enculer), et que ça veut pas dire que c’est pas bien quand même maintenant. Juste que c’était un petit peu mieux avant.
Sur nos écrans fleurissent par milliers de longs et souvent amusants comics dessinés sur ordinateur grossièrement, et relatant une anecdote du quotidien menant à une conclusion imagée, généralement signifiant l’agacement du narrateur, voire son étonnement, sa crainte, ou tout simplement everything went better than expected. Ces comics sont surnommés « Ragecomic », de par leur pseudo-origine, la fameuse « Rageface » qui fait FUUUUUUUUUUU- et sont devenus un très gros phénomène en rajoutant des éléments graphiques facilement reconnus et utilisés par la communauté, on pourrait donc dire un vocabulaire graphique commun, chaque petit personnage correspondant à une réaction à l’anecdote. Je pense que le terme « vocabulaire graphique » est à chier et qu’un mot genre syllabus ou portfolio ou adjimé doit mieux convenir. Devine : tu ne pourras pas me dire lequel car il n’y a pas de commentaires et qu’il n’y en aura jamais ici, ça fait pas 10 ans que je me pèle le cul à pas en mettre pour que d’un coup j’en ajoute dans le thème WordPress et tout pour faire plaisir à ta science du mot.
Bref le Ragecomic est rigolo, pratique (on trouve plein de petits sites et applis pour en fabriquer facilement et rapidement), répandu et un élément familier de l’Internet 201x. Mais voilà, selon moi, le Ragecomic est un peu aux vieux MS Paint Relationships ce que Facebook est à Internet aujourd’hui.
Tout d’abord quoi quoi quoi c’est quoi les MS Paint Relationships ? Je me demande pourquoi je te parle si tu le sais pas, sûrement par mon envie de te montrer combien je suis plus ancien que toi dans un domaine qui n’a aucune sorte d’importance ou d’influence dans une discussion chez un boulanger ou dans une boîte de nuit à 3h du matin (« SALUT !! SALUT !!! MOI C’EST KELVIAN ET TOI ? MOI C’EST ADELAINE !! COOL TES YEUX SONT DES ETOILES QUE TON PERE IL A DU LES VOLER OU QUOI TU VOIS QUOI !! AH OUE AHAHAHAHAHAHAH C’EST GENTIL MERCI MAIS JE SUIS AVEC MON COPAIN !! AH COOL MAIS JE TE DRAGUAIS PAS TU SAIS, TU CONNAIS PAS LE SOCIALLY AWESOME PINGUIN JE SUPPOSE, TWAT ? »), mais je suis kind, super kind, et je vais t’expliquer ; les MS Paint Relationships sont des comics dessinés à la main (ou plutôt à la souris) sous MS Paint et qui narrent des anecdotes en rapport avec une histoire romantique, avec une conclusion imagée, signifiant que le narrateur est pourtoujours toutseul ou simplement et plus fréquemment friendzonné au profit d’un DUDEBROUCHEBAG.
Alors ? tu vois où je veux en venir ? Si pas trop, alors t’inquiète je développe ici :
Le MSPR est le fruit d’un esprit nerd et tourmenté, malmené par les femmes et à l’aise seulement avec sa souris pour en raconter les détails, l’outil MS Paint devient donc une arme contre toutes ces putes innocentes, pour essayer de partager avec d’autres nerds frustrés et tourmentés leurs instants « épaule pour pleurer » et « récit de relation avec un douchebag » qu’ils ont pour la plupart tous vécus en pensant choper la gonzesse par un rapprochement amical préliminaire. Ces comics sentent la sueur entre les doigts après une scène de Stoya cheveux bleus en .mpg de 320*240 téléchargée en 8h par eDonkey, le trait est noir, rugueux, imprécis, le propos et les dialogues sont touchants, comiques, et vous ferons alterner larmes, rages, et rires, ça sent l’authenticité et l’humour potache et référencé, tout ce qu’on aime sur Internet.
Créer un MSPR et lire ceux des autres était le moyen de se reconnaître autour d’un handicap social commun et d’en rigoler autant que de s’épauler « you are not alone dude » (« not this thread again »), autour d’un peu d’authenticité et de créativité.
Puis le ragecomic a débarqué, tout d’abord issu de la mouvance « main levée, souris imprécise », le RC se fait détonnant, hilarant et encore une fois rassemble une audience large. Puis vint simplement la dérive, la popularité, et l’automatisation, la facebookisation.
D’un phénomène brut et sale, on passe à quelque chose de poli et automatisé.
On passe d’un Internet bordélique et infréquentable à Facebook, où ta tata et ton ami de la vie qui est vendeur de téléphone portable se côtoient pour te faire passer les vidéos les plus vieilles de l’histoire, ou demander via un Quizz si ils te connaissent bien, notamment « TATA SFINKTAIR a répondu à la question sur JULIEN KELVIAN : Julien aime-t-il le Football ? Clique ici pour voir sa réponse, installer l’appli facebook, spammer tous tes amis avec le même message, ne pas lire vraiment la réponse, répondre à des questions sur ton foyer et sur tes revenus annuels ! ».
Oh on voit bien des ragecomic avec « comment c’est dur de faire pipi debout pour les filles », ou des trucs genre plus fous comme par exemple un ongle cassé, et dans le tas, on en trouve de très rigolos, mais comprenez-moi, ils manquent de ce coté fortement personnel, sorti des tripes/couilles et d’histoires de friendzones, et c’est à l’image d’Internet globalement, tout devient un peu trop lisse et aseptisé, même les trucs « sales », je veux dire un blog qui analyse le porno ? ok oué tu vois c’est une bonne idée, pourquoi pas, mais à la limite met un monocle et chapeau quand tu me parles d’une pipasse, ça m’émeut moins que direct la pipasse.
Avant c’était mieux, ça sentait l’amphithéâtre de C++, la cigarette froide du local associatif, l’ozone de 75 alimentations de PC dans un gymnase, L’HUMOUR RÉFÉRENCÉ, et pas ce putain d’humour universel caca-ongle cassé, mon chat fait caca et se casse un ongle.
Alors aussi vite que les choses évoluent sur Internet et dans la culture, j’éspère que l’avenir est à la nostalgie des débuts d’Internet, et au retour au CONTENU, à la qualité de ce contenu, plutôt qu’à l’avalanche de MERDES prédigérées et automatisées, l’overdose d’incursion du réel dans notre très nazi-pédo-suicide-homophobe-pro-ana monde virtuel. Regarde, par exemple, Barre de vie.