J’aime bien les séries
D’un simple objet vidéo secondaire il y a 20 ans, quand je rentrais de l’école, la série TV est devenu pour moi un élément absolument essentiel de ma vie quotidienne. C’est sûr qu’à l’époque, je ressentais un certain plaisir à regarder n’importe quel truc qui passait sur M6, mais je n’aurais jamais cru que quelque chose de si futile, racontant des petites histoires moralisatrices ou simplement zinzin, pouvait revêtir un aspect plus profond, allant jusqu’à la limite de l’intime. Mon premier choc fut le Prisonnier, au moment de sa sortie en coffret VHS (1991), ce fût comme si j’entrais dans un monde adulte et insaisissable, évidemment, je n’y compris goutte, mais point de message stéréotypé, pas de morale de fin, il fallait aller au-delà des simples images et dialogues pour essayer d’approcher un semblant de compréhension (qui est très subjective dans ce cas précis, chacun trouve ce qu’il veut dans Le Prisonnier) et j’avais du mal à ne pas m’accrocher à une manière de penser et de résoudre l’intrigue unique et universelle.
Vint ensuite Twin Peaks (je ne vous parle pas des séries « mainstream » que je suivais à ce moment là, le but n’est pas de vous faire dire « oooooh moi aussi j’aimais Code Quantum » FFS), qui a ouvert aussi une nouvelle manière de vivre le visionnage d’une série = l’intégrale.
Entendons-nous bien, les séries sont formatées pour être regardées à coup d’un épisode par semaine, pas un tous les soirs, ou 2-3 par semaine comme on nous les fait avaler en France, non, c’est un épisode par semaine, même pour une série de 20 minutes, tu dois attendre 7 jours pour connaître la suite (s’il y en a). Nous avons été mal habitués et nous avons eu la première preuve que le programmateur télé est un abruti de marketeux qui ne vend que des espaces de pub en se foutant du spectateur.
Qui peut suivre une série dont l’épisode passe tous les jours ? sans moyen d’enregistrement, cela relève presque de l’impossible, surtout si votre père veut regarder Nulle Part Ailleurs. Diffuser un épisode par semaine sert surtout pour les télés US à susciter un interêt grandissant de jour en jour entre chaque diffusion, en distillant quelques images percutantes et alléchantes régulièrement, pour que le jour venu, vous soyez on ne peut plus disponible pour la publicité pour le marchand de voiture d’occasion du coin qui aura payé cher son passage au 2e écran après l’énorme prégen qui tue.
Attention je ne parle pas d’un respect inconditionnel du format tel que voulu par l’artiste, non, je parle exactement de la construction de la sensation de manque et de la distillation au compte goutte sur la saison de la dose nécessaire à notre plaisir, le rendez-vous hebdomadaire de la famille, des amis, ou simplement de soi-même avec son pot de McFlurry Oréos, en créant à heure précise et gérable un moment attendu toute la semaine.
Seulement voilà, le programmateur télé français a aussi du bon, car empaqueter 3 épisodes dans une soirée, même si cela revient à griller toutes ses cartouches marketing un peu trop vite sur la saison, permet (en plus de caser une série excellente au milieu d’autres merdes en espérant profiter de l’effet audimat pour rentabiliser avec des trucs cheaps un programme hors de prix) d’assouvir d’autant plus notre besoin en fiction à coup de grosses doses, donc de s’y attacher plus en profondeur, parfois jusqu’à l’écoeurement.
Mais tout cela me paraît maintenant totalement antique, car non-content de trouver très tôt des intégrales de série en VHS puis en DVD, c’est l’afflux des séries télés disponibles sur le net qui ont vraiment amené l’obsolescence complète d’une antenne de réception (malheureusement la redevance est dépendante d’un écran, et pas de la connexion d’une antenne, je paye donc un impôt sur la possession d’une dalle LCD).
Pour en revenir à Twin Peaks, l’intégrale VHS me fut prêtée par un ami, et il ne me fallu qu’un été pour la regarder, ce qui m’avait paru une très courte période à l’époque (maintenant c’est plutôt des intégrales de 5 saisons qui y passent /gros) et en dehors de la claque de la série elle-même, c’est tout un nouvel usage que je découvris, la série tv à la demande, si possible un maximum d’épisodes avant l’heure d’aller se coucher, une nouvelle manière de découper le temps, en 42 minutes au lieu d’en 60, ou comment commencer un épisode à 23h vous fera coucher AVANT minuit, donc ça va.
Evidemment l’oeuvre y est pour quelque chose, si Twin Peaks n’avait pas été surprenant, innovant et classique à la fois, envoûtant et addictif, je n’aurais pas eu envie de continuer le visionnage plus loin que les 3 premiers épisodes.
Laissez-moi expliquer en parenthèse, ma mécanique de détermination de qualité d’une série :
Pour moi, un épisode pilote ne suffit pas, à moins que celui-ci soit vraiment très mauvais, il me faut en général 3 épisodes pour décider de continuer ou pas un visionnage. Pour cela, Internet est très pratique, car télécharger seulement 3 épisodes et les regarder d’une traite est rapide et peu exigeant.
Pour que la série emporte mon approbation, il faut plusieurs critères très simples et assez répandus :
– Les acteurs ne doivent pas forcément être excellents, mais ils doivent être bien castés c’est à dire en bonne adéquation avec le personnage qu’ils incarnent, ils peuvent jouer comme des pieds que cela colle bien, et que j’apprécie. Ils peuvent aussi être excellents et se trouver à jouer un personnage qui leur sied mal, ceci arrive généralement aux acteurs très connus et marqués que l’on pose dans un rôle pour attirer le spectateur mais sans réellement avoir bien réussi la soupe (mon exemple le plus proche est Steve Buscemi dans Boardwalk Empire, bonne série, très bon acteur, bon personnage, mais manque de crédibilité en Nutty, au contraire de Michael Pitt qui va de bon à très moyen, mais colle bien à Jimmy Darmody)
– L’idée de départ doit être traitée de manière inédite et percutante, sans qu’elle soit forcément originale, une série policière au concept très basique (des flics doivent arrêter des dealers) peut être traitée de manière « entertainment » basique, avec des scènes d’action, de flics désabusés et de course poursuite, avec un gangster black aux bagues en diamant et qui joue du flingue en faisant « yo yo », ce qui va m’amener à la laisser immédiatement de coté, ou au contraire, en apportant une épaisseur scénaristique inattendue dans le genre, ultra réaliste (The Shield) ou très terre à terre et détaillée (The Wire), cela va faire bouger 2-3 neurones et me donner envie de connaître la suite et surtout la fin.
Pour revenir donc à mon propos, enfin je sais plus, j’écris la suite 1 semaine plus tard donc je sais plus trop ce que j’ai écrit deux paragraphes plus haut, mais bon, je vais réussir à finir ce post, DONC, ce que je voulais surtout dire, c’est que les séries sont ce qui se rapproche pour moi au plus près de la sensation qu’on ressent en lisant un livre. Un film est une oeuvre courte et puissante, qui vous arrache les yeux et le cerveaux en 2 heures, et vous laisse sur le cul une fois terminé, après il faut sortir de la salle par le couloir qui sent le pipi, et donner ton avis aux gens qui t’accompagnent. Mais si le malheur vient aux auteurs de faire un suite à ce film, il y a selon mon estimation 70% de chances que ce soit de la merde qui déçoit le spectateur-fan.
La série, elle, ne vit que pour sa suite, qui même si elle peut être décevant, fait partie intégrale de l’oeuvre.
C’est le moment de l’analogie foireuse : un film, c’est un peu comme un one-night stand vraiment bon, dont il ne faut surtout pas voir la gueule le lendemain, ou pire, retenter de coucher avec. Quoi qu’il arrive, il y aura un sentiment de déception, ça ne sera pas la même ambiance, la même suite d’évènements qui ont menés à cette partie de jambes en l’air fameuse. La série, c’est une relation longue durée, sûre et continue, le problème c’est qu’au bout de quelques temps, soit la relation est entretenue par de la nouveauté et un réel échange intime, soit la routine s’installe, et ça peut devenir n’importe quoi, de sorte que tu annules tout avant même la fin de la diffusion des derniers épisodes de la saison, laissant, le public découvrir les restes avec deux-trois rendez-vous où on se dit que c’était bien, mais que c’est mieux comme ça, l’un chacun de son coté, sous forme de webisodes.
Tout ça pour souligner à quel point, parfois plus qu’un livre, une série peut avoir un impact émotionnel bien plus profond et intime, au point de ressentir des sentiments proche de l’amitié envers les personnages qui évoluent sous nos yeux. Le visionnage intensif d’une intégrale est très vicieux de ce point de vue, il m’est arrivé de regarder 5 à 6 épisodes d’une série de 40 minutes par jour, ce qui revenait à passer plus de temps avec les personnages qu’avec mes propres amis ou ma propre famille, forcément je ressentais de l’empathie, forcément le bilan de la journée que faisaient mes rêve une fois endormi racontait tous les moments que j’avais vécus avec eux, et comment je pouvais résoudre une intrigue parmi eux, forcément, il m’arrive qu’ils me manquent, et que je souhaite les retrouver au détour d’un programme divers.
Je m’estime comme une victime consentante de toute la production télévisuelle, surtout américaine, je sais que ce n’est pas une façon constructive de passer son temps, mais je n’y peux rien, j’ai l’impression de manquer tellement de choses, car chaque fois que je découvre une nouvelle série formidable, ça en est une que je n’avais visionnée lors de sa diffusion initiale, une que j’ai choisi de regarder parmi la centaine qu’on me conseille ou qui me font envie, une de moins à voir alors que chaque année 2 ou 3 de plus s’ajoutent au temps infini qu’il me faudrait pour tout voir, tout ressentir, et rencontrer tous ces formidables amis imaginaires.