Pretty (Ugly) before
Je crois que je ne l’aime plus.
Elle est en train d’étaler sa crème de nuit le long de ses petites ridules, en massant bien autour des yeux, en étirant sa peau suffisamment pour lui donner un regard qu’elle croit de ses 20 ans, alors que ça lui donne juste les paupières bridées. Elle me dit, l’air grave : « tu ne trouves pas que je fais vieille ? ».
Putain, mais t’as 31 ans, quand tu en auras 50 c’est exactement l’âge que tu aimeras faire. C’est la première pensée qui me vient à l’esprit.
Et aussi : non.
Et également : non, mais je ne veux pas que tu attires mon attention dessus. Si je ne le vois pas, ne pointe pas ton doigt sur ta peau qui se relâche, ni sur tes pattes d’oie, ni sur aucune de tes rides d’expression. Je ne veux pas savoir. Ca ne m’intéresse pas.
C’est comme quand elle prend entre son pouce et son index un gros bourrelet de ses fesses et qu’elle me le fout sous le nez en lâchant un « tu ne trouves pas que je suis grosse ? ». C’est idiot. Aussi idiot que voler des bonbons à la boulangerie et dire ‘ça ne vous embête pas que je pique ses trucs ?’.
Sauf que là c’est pire. Sa prétendue vieillesse me renvoie à la mienne, et maintenant qu’elle a demandé à mon oeil de se poser sur ses défauts, je ne vais plus voir que ça. Je sais ce que vous pensez. Vous pensez que je suis un connard. Le même qui est dégouté quand il voit que sa femme enceinte commence à avoir des vergetures le long du ventre. Celui qui est juste incapable de la rassurer, ne serait-ce que pour avoir la paix.
Dites-vous bien que c’est vous les hypocrites.
Vous, vous diriez « mais non, tu es parfaite chérie, je t’aime comme tu es » avant de l’embrasser tendrement sur le front. Okay, pourquoi pas. Mais si on me montre un bout de gras, tout ce que je suis capable de dire c’est : ‘oui, c’est bien un bout de gras que tu as là’. Et même si je rajoute : ‘mais tu n’es pas grosse’, c’est foutu. La mémoire sélective, on appelle ça. On ne retient que ce qui nous intéresse, que ce qui va dans notre sens, et le reste on le fout à la trappe. Mais je ne peux pas juste dire une connerie du style « mais non, tu es parfaite chérie, je t’aime comme tu es ». Ce qui me fait dire que peut-être, je ne l’aime plus.
J’arrive à voir ses détails de détérioration physique. Je n’arrive pas à passer outre. Ma mémoire sélective ne sélectionne plus ce qu’elle devrait. Ma mémoire sélective est devenue très terre-à-terre.
On sait quand on aime.
On sait quand on aime pas.
Bon alors. Comment on fait pour savoir qu’on aime encore ?
J’vous le demande.
Je suis parti 6 semaines cet hiver. Un reportage en Asie. Là-bas, toutes les femmes font plus jeunes que leur âge. Elles ont la peau lisse et douce. Elles ne sont pas en surpoids. Et pourtant, personne ne veut être asiatique, en Europe. C’est comme ça. Elles sont tout aussi jolies que d’autres filles jolies. Vous voyez ce que je veux dire.
En rentrant à la maison, j’étais content de la retrouver. Alors je me suis dit que c’était peut-être ça, aimer encore. J’avais qu’une hâte, dans l’avion du retour, dans les transports en commun pour rentrer chez moi, dans l’escalier qui mène à mon appartement, c’était d’être dans mon canapé et de sentir son odeur. Alors vraiment, là, je me suis dit que je ne l’aimais pas plus.
J’ai ouvert la porte.
Elle était derrière, un grand sourire collé sur le visage.
– Tu vois mes petites rides au coin des yeux ?
– Non.
– Et du gras sur les fesses ?
– Non.
Cette conne, elle s’était fait refaire la gueule, et liposuccer le cul. Bienvenue chez toi, et réjouis-toi de pas avoir trouvé deux boules plastiques sur le torse de ta femme, ça aurait pu être en promotion pour les fêtes de Noël. Elle arrêtait pas de sourire, de rire, de se coller à moi bêtement. Elle était heureuse. Le bonheur, il parait que ça rend les gens beaux. Mais moi je vous dis que ça dépend.
Et après ça, j’ai vraiment su que je ne l’aimais plus.