Sombre.
Nuit.
Brrrrrr froid.
Je
nage dans la neige depuis des générations d'éphèmères,
à peu près 4 on dira.
On m'a délesté tant bien que mal, tard, tentant de me tétaniser
pour me faire taire.
J'éspère que grâce à ceci ca ne sera que peine
perdue.
Je
suis parti dans un navire de scientifiques, avec plus d'arrivistes que
de vrais hommes (ou femmes) de sciences à bord, seulement des personnages
venus faire une visite dans une zone vraiment frisquette, pour faire croire
qu'ainsi la génétique va avancer à grand pas, ou
même la recherche sur les virus, voire le cancer, ou la génétique
des virus qui ont le cancer. Enfin bref.
Je ne suis que vétérinaire, et ma passion, c'est les pingouins.
Et ici, ca grouille de pingouins.
La symbolique de cet animal a d'étrange le fait qu'ils représentent
la bonhommie, l'aspect sécurisant du clan et de la famille, la
chaleur, la sympathie et pourtant c'est des gros morceaux de caca dur,
froids, et sauvagement méchants.
A la base, je n'avais rencontré que des spécimen pacifiques,
un peu aggressifs à l'approche de leur nid, mais pas vraiment mauvais,
mais là. C'était autre chose.
Peu
après notre arrivée à la base scientifique de Terre
Adélie, l'ambiance était posée. Ici, l'isolation
avait du bon, elle permettait aux pistonnés et autres "copains
de" de se payer un peu de bon temps loin de femmes, enfants, chefs
ou autre tracasseries. Une sorte de club med pour docteurs et professeurs,
avec les soirées arosées et une nuit dans chaque bungalow
histoire de visiter le paysage.
On va dire que sur la trentaine de personnes que comptait la base, il
y avait 2 vrais passionnés, qui avait obtenus leur visa pour le
froid au bout de 10 années de paperasseries en tout genre, de justificatifs,
de lettres de recommendations et autres fantaisies réservées
aux personnes trop timides, 4 techniciens punis et envoyés là
pour se faire un peu oublier, sans compter qu'il y avait de grandes chances
pour que ce soit des militaires de surcroit, et qu'ils avaient du vraiment
faire quelque chose de grave pour se retrouver à réparer
des tuyauteries et des ordinateurs à l'autre bout du globe, et
le reste, seulement des gens venus ici pour prendre 6 mois de vacances
tous frais payés, exhonérés d'impots, de femme et
de gosses, tranquille pour faire la fête, alcool russe à
bas prix à la base d'à coté, et parfois quelques
petits extras quand les américains passaient faire une visite.
Personnellement je me plaçais dans le dernier cas, avec un bon
fond tout de même. Mon beau frère avait pu m'arranger le
coup, il est vrai, tant il avait le bras long comme le pont de l'ile de
Ré, et qu'il avait pu gratter les bonnes épaules. Mais je
ne pensais pas me trouver au milieu d'une telle tripotée de débiles,
à la base, je m'étais dit que je serais tranquille pour
faire mes petites études, que je pourrais prendre mon temps, boire
mes cafés et écouter du Goldman sans avoir à changer
toutes les deux chansons pour mettre du Lorie pour faire plaisir à
la gamine.
J'ai un peu eu tort.
Ah mais je ne me plains pas, dès le "pot de bienvenue",
je m'étais fait de très bons amis, et j'avais un lit réchauffé
assuré pour ce soir, voire même peut-être deux. Je
me gardais la deuxième option pour une autre soirée, au
cas où la première soit un peu trop .. ou pas assez ..
L'accueil fut chaleureux, avoir du sang frais faisait plaisir visiblement,
ils devaient en avoir marre de taper sur les même épaules
depuis 6 mois. Surtout que la base "Adélie" ne permettait
pas vraiment de varier les plaisirs ...
Composées de 4 gros modules de vie (tout simplement des zones climatisées
et équipées d'électricité et d'eau courante),
elle devait s'étendre sur la taille d'un bon terrain de foot, en
rajoutant à ca un hangar à véhicules, et un local
à matériel de test (rarement utilisé).
Le premier module, un espèce de petit amas de préfabriqués
militaires était sensé représenter les zones privées,
à coup de petites chambrettes de 10m², un lit et un placard,
c'était sensé suffire. Evidemment, la première chose
qu'ont fait en arrivant nos collègues d'il y a 5 ans, lors de la
première mission, c'est de descendre les murs et de faire de deux
chambres une seule, de toutes manières, on ne restait pas célibataires
longtemps ici, et même si ca tournait beaucoup, ca ne dérangeait
personne de laisser ses affaires dans une chambre, et de dormir dans une
autre. Oui, une sorte de club med.
En même temps, le dortoir avait moins d'importance que le 2e module,
celui des salles communes, consacrées uniquement aux beuveries
qui émaillaient la journée, pour les repas, il fallait juste
se servir dans la cuisine, de toute manières, le cuisto, un ancien
légionnaire finlandais connaissait plus de manières de tuer
quelqu'un avec une cuillère que de manières de cuisiner
un oeuf. Vlad. Avec un nom pareil, jamais je lui aurais mis un couteau
dans les mains, si on considèrais aussi qu'il ne supportais pas
les cheveux plus longs qu'un millimètre et demi, qu'il sortait
en t shirt sur la banquise pour aller chercher du ravitaillement, et qu'il
ouvrait avec assurance les boites de conserve avec ses dents, jamais je
lui aurait confié mes gosses à garder. Ni mon chien.
Le reste de la base, c'est pas franchement un endroit fréquenté,
ce sont les zones de recherche scientifiques, autant dire l'antre des
2 nerds de service, qui n'en sortent pratiquement qu'une fois par semaine
pour récuperer un peu de nourriture, mais je les comprends, ils
se sont installés des lits et vivent au calme au milieu des bactéries,
elles au moins, elles vomissent pas partout.
Ma
première nuit fut un enfer. Je dormai tout seul finalement, et
je m'assurais que personne ne viendrait me rejoindre en posant un renard
à coté de moi, d'une odeur tellement forte qu'il aurait
repoussé le plus alcooliquement atteint des basques. Malgré
tout, l'épaisseur d'un mûr de plastique fait que les ondes
sonores ne sont presque pas ralenties, et mes collègues ont fété
dignement leur rencontre. 3 fois.
Et le froid ... on a beau me dire que tout est climatisé, j'ai
beau voir le mercure sur 21°C, je le sens, qui me transperce la peau,
les muscles, et il remonte doucement dans mon cerveau, il le ralentit
au point que chaque son, chaque mouvement est interminable, l'heure du
radio réveil, seul lien à peu près tangible avec
le peu de réalité qu'on trouve dans ce lieu, défile
sous mes yeux ouverts de force par mes crampes abdominales, je n'ai pas
dormi une seule minute.
Et
ce n'était que la première nuit.
La deuxième fut pire, mon abdomen confirma sa position peut envieuse
d'animal malade, et j'ai vidé plus que mon estomac et ma bile pouvaient
contenir. Le médecin du camp, là aussi un ancien soldat,
sûrement un commando vu la manière qu'il avait d'avancer
en permanence à pas feutré en jetant des regards à
droite à gauche et en passant le coin des couloirs, m'avait gracieusement
offert une série de produits divers et variés "très
efficaces pour les cuites qui passent pas". De la merde. Ca m'avait
calmé les dix minutes qui me fallait pour me rendre de l'infirmerie
à mon lit de mort.
A vrai dire, j'avais de la chance dans mon malheur, c'était ce
jour la visite du propriétaire, avec grandes explications sur l'historique
et l'explication technique de la station, ca méritait au moins
17/20 sur l'échelle du moment chiant.
Et j'étais plus que ravi d'être enfin au calme, débarassé
de mes généreux confrères.
En fin de journée, mon ventre me rendit la main, et je pu enfin
me lever pour faire un petit tour dans les modules désertés.
Seuls rester bik et bak, enfermés dans leur labo, les autres étant
toujours dehors. J'appris lors de ma visite que malgré le caractère
purement scientifique des missions de la base Adélie, nous étions
équipés d'un arsenal important de fusils d'assaut et de
grenades, ainsi que d'armes de poing et d'armes blanches. On sait jamais,
un pingouin aussi peut avoir son accès de folie. Plus par curiosité
que par peur, je prenais un Glock et une boîte de cartouche, pensant
aux 20 minutes que je pourrais perdre à m'amuser à tirer
sur des canettes dans le désert blanc. Il fallait absolument que
je pense à une occupation éloignée de mes con..frères.
A 21h, l'excurtion n'était visiblement toujours pas terminée,
mais j'assistais au retour de l'électricien, un autre gaillard
d'1m90, épais comme un taureau et sûrement aussi intelligent,
je misais mon grog de ce soir sur un Para, accompagné de son collègue
informaticien, responsable de la dizaine de PC de la base ainsi que des
liaisions avec la mère patrie. C'était sûrement le
seul technicien permanent de la base qui n'était pas un ancien
tueur, dumoins, il n'en avait pas la carrure, mais il n'empêche
qu'un truc devait clocher pour qu'il soit là, et il avait du faire
une belle connerie avec le FBI ou la CIA, ou je sais pas quel truc à
la Mitnick. La chose étonnante était qu'il s'entendait à
merveille avec l'électricien, une sorte de couple Astérix/Obelix,
avec une souris Microsoft dans le rôle d'Idefix.
Au moment où ils rentraient et m'aperçurent affalé
devant un DVD de Jackie Chan, je lu sur leurs visage une légère
pointe de surprise, ce qui ne manqua pas de m'amuser.
- 'soir prof, vous êtes pas avec les autres ? me demanda le petit
geek
- Nope, c'est moi le malade, vous vous souvenez ?
- Ouais, fis le gros avec méfiance, je vois que ca va mieux ...
- Ca peut aller, dis-je avec un ton de défi.
Je regrettais aussitôt mes paroles, j'avais pas besoin d'embrouille,
pas maintenant, et je m'étais foutu dans la merde connement. Bon
ok, pas une grosse merde, mais suffisante pour m'empêcher de regarder
Combats de Maîtres tranquillement.
Manifestement je me trompais encore, les deux gars ne me prêtèrent
pas plus que ça d'attention, et partirent direction la cuisine
sans demander leur reste ni même jeter un coup d'oeil vers moi.
Je m'aperçu alors que je tenais le Glock dans la main. Je l'avais
depuis le début, quand j'étais ado, je jouais toujours avec
un truc devant la télé, la télécomande, mon
téléphone, et là, j'avais machinalement pris le Glock,
j'étais persuadé de l'avoir bien planqué dans ma
chambrette, et non, je faisais le cowboy dans un peignoir humide de vieux
vomi et de transpiration affalé sur un canapé bon marché
devant un DVD de kung fu. La pitié envers moi-même fut si
grande qu'elle ramena avec elle mes douleurs abdominales, et malgré
tous mes hoquets, rien ne sorti de ma gorge.
Minuit
passé, c'est un des deux rats de laboratoire qui me le dit en me
réveillant. Je ne les avaient pas vu auparavant, et ils sont pourtant
exactement comme je les imaginais, plutôt grand et maigres, très
sales, sûrement pas lavés depuis 1 semaine voire plus, avec
une blouse blanche immaculée dont une chemise à carreau
dépasse par le col. Celui qui me secoue sent une odeur d'Ether,
on croirait un hopital à lui tout seul, mais ce qui me frappe c'est
que je ne vois pas ses yeux derrière ces lunettes opaques.
"Réveillez-vous monsieur, il est minuit passée, et
personne n'est rentré, je sais que ca n'a pas trop d'importance,
mais le cuisinier devait nous préparer notre ration, et nous n'avons
rien"
Evidement, ca peut être que l'appel de la bouffe qui ferait sortir
des rats de leur cage.
En me relevant je remarque le deuxième acolyte qui attends en regardant
par l'encadrure de la porte, il est carrément identique au premier,
mais se cache dès qu'il me voit debout.
Effectivement, c'est bien calme. La table commune n'a pas été
utilisée, pas d'odeur de gras émanant de la cuisine, visiblement
les techniciens sont repartis. Me voilà à cet instant seul
avec bik et bak qui ont faim et Dieu sait de quoi ils sont capables lorsque
leur estomac les tiraille.
Ces
idiots sont absolument incapables de s'en sortir seuls, ils me font
sortir des boîtes de la réserve, je dois les porter deux
par deux au maximum tellement mon ventre me tiraille, et personne ne
lève un petit doigt pour m'aider, à tel point qu'au bout
d'une demi heure, je leur ai sorti l'équivalent d'un cageot de
super marché. Bik s'impatiente et murmure des propos sur des
gels, Bak est toujours derrière la porte, mais je l'entends de
temps en temps taper du pied, sûrement un code convenu pour les
cas d'extrême urgence comme par exemple "le milieu de la
bactérie Z821E a atteint un seuil d'oxygène critique,
ramène toi vite". Qu'importe, ils patienteront le temps
qu'il faut, moi, j'ai une excuse valable, et impossible de l'oublier
celle là.
Pour
la première fois je dors bien en Terre Adélie.
Ce n'est pas un miracle, c'est grâce au coup que j'ai reçu
derrière le crâne quand je pensais en avoir enfin fini
dans mon déménagement de denrées. En plus, ca a
convenablement déplacé ma douleur, et je suis soulagé
d'avoir une bosse sur laquelle je peux poser mes doigts, plutôt
qu'un estomac torsadé. D'après la flaque de bave sèche
qui gît autour de moi, je suis resté au milieu de la cuisine
au moins 4 ou 5 heures, mais rien n'a bougé depuis, même
ma cagette de conserves est là.
Mon premier réflexe en me levant fut de vomir un peu de la bile
que j'ai retrouvé dans l'évier, ce qui pour une fois m'a
fait le plus grand bien, et j'ai même éprouvé de
l'appétit en voyant un paquet de Pépito dans un placard
ouvert. Une fois bien nourri, j'entreprends de chercher un peu d'aide
alentours, mais il n'y a définitivement toujours personne. Je
ne sais pas pourquoi je n'ai pas commencé par là, mais
c'est devant la porte des modules de recherche que je finis ma quête,
évidemment, elle est close, et pas un bruit n'en sort.
Je pense que c'est quand je vois la tâche de sang coagulé
à mes pieds que je perds vraiment le fil de la réalité,
en plus, armer un malade encore sonné, manquant de sommeil et
sous l'effet d'un paquet de Pépito chocolat noir, ce n'est pas
la meilleure idée qu'on pourrait avoir. De toutes manières,
pas le choix, le Glock était dans ma main, et j'avais déjà
tiré dans la porte comme dans les films américains, sans
avoir pris la peine de vérifier si elle était vérouillée.
C'est aussi à ce moment là que je prends la pleine mesure
de la signification de "film". La balle écrase le verrou
en prenant le soin de pulvériser le bois aggloméré
de la porte en des milliers de petites échardes qui viennent
pour la plupart se planter dans ma main et mon avant bras, déjà
fortement secoués par le tir, et mon oreille droite refuse à
partir de ce moment là de faire le moindre effort pour amener
du son à mon cerveau.
Merde, ça saignait, bon, c'était pas pire que si j'avais
tout pris en plein bide, mais du coup, j'en foutais plein mon joli t-shirt
"Midi-Libre".
La porte s'ouvrit sous le choc de l'impact, en laissant aussi tomber
ce qui fut le bloc poignée, et le tiers de sa structure, le temps
que j'éponge un peu le sang dans un râle, je fus entouré
de l'odeur d'Ether qui semblait caractéristique à ce labo.
Mes blessures étaient bénignes, heureusement, car j'en
avais eu assez pour les 10 ans à venir, et le sang ne coulait
pas à flot, il ne fallu qu'un petit passage sous l'eau du robinet
pour nettoyer ma plaie, et après tout, la curiosité était
plus importante que les 43 échardes plantées dans mon
bras. Je pense aussi qu'à ce moment là, mon corps avait
dit "FUCK" à mes nerfs, vu que je ne ressentais aucune
douleur.
Un
peu de bruit, quelque chose de disctinct mais que mon cerveau n'arrive
pas à identifier, je me rapproche à nouveau de l'encadrure
de la porte, et pénètre dans le laboratoire.
C'est
un lieu tout ce qu'il y a de plus classique, paillasses, pipettes, bains
marie,
EXAO, cadavre de bik, produits dangereux, pingouin autopsié,
et cadavre de bak. Mes collègues étaient tout simplement
chacun d'un coté de la pièce, mais la position de leurs
entrailles les rapprochait dans la plus grand intimité que l'on
puisse partager post-mortem. A vrai dire, je pense que leur cage thoracique
avait été perforée au centre la pièce, mais
que chacun avait été projeté avec violence dans
des directions opposées. Bik était à 1m de la porte,
et c'est lui que je reconnu en premier, il tenait encore à la
main une souris d'ordinateur dont le cable avait été arraché,
je pense qu'il n'a même pas eu le temps de se rendre compte de
l'aspect non-virtuel de ce qui lui ravageait le bas du ventre. Etrangement,
c'est un situation qui m'aurait fait vomir mes Pépitos, mais
non, malgré la puanteur qui se dégageait des 5 bons kilos
de barbaque qui moisissaient au milieu des cultures de bactérie
(et sûrement des virus) me paraissaît presque agréable,
à croire que ma place de vétérinaire à Touari
m'avait habitué à tout.
Bak, lui, était étalé à coté de sa
tête, qui semblait posée avec précaution sur un
petit chariot chirurgical immaculé. Il y avait tellement de sang
sur le sol qu'il était impossible de poser les pieds ailleurs
que dans de l'ex-Bik ou de l'ex-Bak. C'est toujours la curiosité
qui me poussa à faire un tour du labo à la recherche d'un
quelconque indice sur ce qui avait bien pu provoquer un tel carnage.
En bon spécialiste de l'éspèce, je me penchais
avec interrogation sur le pingouin posé sur la table d'opération.
Contrairement à ma première impression, celui-ci n'était
pas autopsié, mais semblait bel et bien être la 3e victime,
lui aussi il était salement vidé, comme si on avait pris
une grosse cuillère de la taille d'une casserolle et qu'on avait
cherché à en faire une orange vide. Détail interessant,
le pingouin portait un string. Le genre de petite chose affriolante
qu'on achète pas cher à la redoute pour faire plaisir
à Robert, qui va si bien au mannequin du magazine mais qui ressort
tès mal sur Ginette. Moi qui pensait que mes nerfs étaient
en panne, c'est bien d'un rire nerveux que je sorti de la pièce
pour aller m'esclafer dans le canapé de la pièce commune
adjacente. Non mais oh, un pingouin en string éclaté avec
deux scientifiques renommés à coté dans le même
état ?
Les
10 minutes qui suivirent furent entièrement consacrées
à la recherche et à l'injection de morphine. J'avais eu
ma petit période de dépendance, mais maintenant j'appelais
ca "des extras", et là, j'en avais besoin. Visiblement,
je n'étais pas le seul à consommer, il y avait là
des doses de mamouth, et la boîte était à moitié
vide.
Evidemment, aucune nouvelle du reste de la compagnie, ni même
des deux techniciens rentrés plus tôt.
J'avais
pas le tempérament d'un enquêteur, moi, ce que je voulais,
c'est rentrer chez moi, et étudier les pingouins en zoo. J'avais
fait des milliers de kilomètres pour voir seulement un cadavre
de pingouin (en string rouge à dentelle) et endurer plus de douleurs
en 48h qu'en 10 ans. Hors de question que j'essaye de découvrir
qui avait tué bik et bak, par contre, hors de question que je
reste seul dans cette base un instant de plus. Personne ne répondait
à mes appels radios, remarque, personne ne devait m'entendre,
je suis absolument hermétiques à tout ce qui est électronique,
j'ai du parler à un satellite russe si ca se trouve.
Je prends un peu de temps pour me préparer et m'habiller chaudement,
je récupère un FAMAS de l'armurerie ainsi que quelques
cartouches, 3 boites de thon et 2 paquets de Pépitos, et je sors
pour aller récuperer un de ces véhicules avec des chenilles
dont on nous avait précisé le fonctionnement avant de
venir. Mon but pour l'instant, c'est de trouver un endroit duquel on
puisse partir loin d'ici, et une base limitrophe me semble la meilleure
destination. Et peut-être qu'au passage, je croiserais un troupeau
de collègues égarés ...
Le
hangar a véhicule était vérouillé, mais
c'était sans compter sur ma nouvelle capacité à
briser les verrous. Je me postais à une vingtaine de mètres,
allongé derrière un tas de neige que j'avais pris soin
de compacter le plus possible, et je vissais cette fantastique invention
qu'est la grenade du FAMAS. Couic couic couic couic. J'avais eu l'occasion
de l'utiliser pendant mes classes, mais c'était sur des trucs
en carton, là, ca allait être beau. Paf. Boum. La grenade
a pulvérisé la porte et tout ce qui avait autour, et un
petit peu de derrière. il m'a fallu attendre bêtement une
heure que le feu se calme, ce qui m'a permis d'aller retenter la radio,
manger un petit peu et mettre les restes de bik et bak dans la chambre
froide et dans des draps.
Même si le pare brise de la chenillette était un peu noirci
par endroit, l'engin était en parfait état de marche,
miraculeusement conservé par l'autre chenillette postée
devant et à moitié détruite par la grenade à
fragmentation de mon FAMAS.
Armé
de la boussole et du plan de la zone glaciaire, je me dirigeais avec
espoir à travers la neige quand j'aperçu mon premier groupe
de pingouins, et c'est avec émotion que je stoppai pour apprécier
enfin ce pourquoi j'étais venu là. Le spectacle de cette
centaine d'animaux tous blottis les uns contre les autres était
émouvant, et je me permis d'ouvrir un paquet de mes gateaux chocolatés
pour profiter pleinement du tableau. Je pris quelque clichés
avec mon appareil photo numérique, j'étais à des
milliers de kilomètres de mes récents problèmes.
J'aime franchement regarder les bêtes, c'est exactement ce que
ca me fait, j'oublie tout, ca me calme, je me prends à imaginer
que je fais partie de leur clan, et que moi aussi je suis un membre
indispensable, que sans moi, la survie de la famille est possible mais
difficile, qu'il me faut tourner et tourner pour réchauffer mes
congénères, montrer du bec aux prédateurs qui en
veulent aux petits, et finalement simplement manger et procréer.
Simple.
Il
me paraît normal, vu la situation actuelle, que mon moteur ne
puisse redémarrer. On a rien sans rien, et mes journées
précédentes avaient été d'une très
bonne qualité niveau mouise. Inutile de préciser que je
ne pus me servir de la radio de bord avec succès, autant demander
à un Gorille de faire une recherche sous Google. Après
avoir passé 10h à essayer de redémarrer l'engin
par tous les moyens possibles et sous le regard amusé des pingouins,
je me décidais à prendre tout ce que j'avais dans le véhicule,
et à faire demi-tour à pied vers la base.
Je
n'ai pas vraiment souffert du froid, j'étais bien couvert, et
le fait de marcher me réchauffait aussi, néammoins, j'avait
l'impression de ne pas progresser. La troupe de pingouin semblait me
suivre à l'horizon, toujours proche, mais sufisamment lointaine
pour que je ne puisse qu'en deviner la chaleur qui s'en dégageait.
Je semblai obsédé par la température ambiante,
si j'avais eu un thermomètre, je pense que j'aurais passé
mon temps les yeux rivés dessus pour être sûr que
je n'attendrais pas le fatidique zéro absolu. Toutes mes convictions
scientifiques avaient sombré au moment de la panne de la chenillette.
Au fure et à mesure que j'avançais à la lueur du
jour permanent, avec un vent léger et un ciel bleu à peine
émaillé de nuages, je sentais doucement monter la certitude
que j'étais victime d'une poupée Vaudou, une épingle
plantée à chaque muscle qui me tiraillait ou qui se tendait
en une longue crampe, et il y en avait beaucoup, je n'ai jamais été
vraiment sportif, j'ai passé plus de temps à courir après
les jupons de ma femme que dans un club de gym à draguer de la
bimbo.
Ma
femme. Comme au cinéma, quand un soldat tombe mourant, il pense
toujours à sa femme, ou à sa maman. Ma mère est
morte de sa belle mort, et ma femme ... elle croit sûrement que
je suis devant des tubes à essai, en train de découvrir
une nouveau "bidule microbe", elle est toujours sidérée
face à ce qu'elle pense être mon savoir universel. Si elle
se doutait seulement que je parlais à des pingouins, miné
par les heures de marche, et que je les défiai à un combat
sans merci avec moi, le plus grand héros du Pôle Sud.
Evidemment, j'avais dévié de ma route pour me trouver
maintenant au milieu de l'attroupement, qui ne m'avait pas du tout considéré
comme un prédateur, je devai pluôt être une bête
curieuse, avec mon gros manteau rouge, vociférant "VOUS
ALLEZ TOUS CREVEEEEEER".
Big
Kahuna Pongoo me répondit calmement :
- "Allons, allons, reste calme, tout se négocie ici, tes
potes ont eu droit à la déculottée, tu peux poser
ton droit de vengeance, c'est pas que cela soit une tradition, mais
ca me semble logique, et j'ai pas envie qu'encore une de mes nana y
passe à cause d'une folie meurtrière à la con dont
vous avez le secret .."
Cet énorme pingouin avait surgit du groupe, il semblait allongé
au milieu, ce qui expliquerait que je ne l'ai remarqué plus tôt.
Il devait mesurer 2m50 environ, et était affublé d'une
cape rouge, ainsi que d'une couronne en papier doré un peu froissé,
et il portait sur sa poitrine un petite signe le nommant "Big Kahuna,
Pongoo among Pongoos". Presque l'employé du mois, si ce
n'était cette odeur de vieux pet qui en emanait, et qui semblait
venir de son bec entrouvert. Point culminant de ses accessoires, un
petit pendentif composé d'un cordon Rouge/Vert/Jaune et d'une
sorte de continent africains en cuir sur lequel on pouvait lire "Jah
Love".
Je
mis environ 2 minutes à sortir de ma stupefaction, et Big Kahuna
qui semblait habitué attendit patiemment ma réaction,
et je pense, une réponse.
Mon réflexe fut humain, je saisis le FAMAS et retirai la sécurité,
mais les premières rafales partirent dans le vent juste après
que le monstre m'ai baffé dans les règles de l'art, en
m'envoyant bouler par la même à une douzaine de mètres
de là.
-"Tous les même ... hé, l'ami, tu pourrais pas causer
avant de tirer, ca m'éviterai de vous déblayer la face
à chaque fois"
Je fis le mort, et sortai discrètement une grenade de ma veste,
la degoupillai et attendai qu'il s'approche.
Ce con de pingouin plus que géant ne fut pas dupe, il me ramassa
d'une patte, me pris la grenade et l'envoya exploser plus loin dans
la neige, j'étais son prisonnier.