N’importe Saouak Part III
La Terre avait tremblé genre magnitude 10.5 comme sur M6, son coeur avait flanché, elle était tombée plus bas que le garage souterrain, en dessous des tuyaux, des cables téléphone, du cadavre enfoui, de la couche sédimentaire basaltique et de la poche de magma superficielle. Après ces mois de lutte acharnée, de bataille de régime quotidien, de perches à la Galfionne lancées, le Bel Adonis s’était tapé Marie. Vil trait0r, elle n’avait même pas eu le temps d’y goûter qu’il avait été souillé par la pute qui se disait être sa meilleure amie, alors elle s’enferma chez elle, avec un pot de Nutella Christmas Edition et une boîte de mouchoir triple épaisseur spécial détresse sentimentale.
C’est fou, fou ces choses qu’elle s’était imaginées sur lui, non, pas qu’elle avait imaginé, qu’elle avait CRU, ses faux-semblants, ses phrases qui la touchaient, voilà maintenant qu’elle se retrouvait non pas célibataire, vu que c’est ce qu’elle était déjà depuis un an, mais le coeur vide, tranché en deux sans qu’elle puisse exprimer sa colère et sa détresse à son égard, sans qu’elle puisse lui hurler dans les oreilles sa haine de ce qu’il est, sans le recours des filles larguées de l’univers; la menace de suicide et l’ingestion de 10 cachets de paracetamol.
Elle n’avait pas été larguée. Elle n’avait rien été, et quand on est rien, c’est encore plus dur que d’avoir été quelque chose dont on a un quelconque souvenir auquel se raccrocher.
Elle a débranché la freebox, allumé la télé, enfilé sa grenouillère et son sweat Dickies mité du collège, enfoui ses pieds dans une couverture et laissé ses cheveux s’emmeller et devenir gras. Sur la table basse du salon traînent les restes de glaces, yahourts, cafés, thés, tartines, des emballages, des couverts, à peu près de tout. Sa soeur avait quitté l’appart, elle était seule, mais pas seule comme tout célibataire, avec ce petit bout d’espoir envers quelqu’un, ce petit morceau d’amour qui veut s’accrocher à n’importe qui qui veut bien passer, elle, son morceau avait grossi comme un cancer dont on s’accomode avec bonheur, et la tumeur était devenue maligne et s’était metastasée dans tout son coeur, elle avait atteint ses hormones, qui la faisaient frissonner à son contact, à son regard et à ses mots, et, paf, guérie, d’un coup, elle se retrouvait seule sans même ce morceau là, arraché de force par Marie l’infirmière lubrique et sa paire de seins parfaits sur laquelle elle s’était souvent appuyée par le passé pour pleurer ses malheurs avec sincerité.
Quelques semaines suffiraient à la sortir de cet état, quelques semaines avant qu’elle trouve quelqu’un qui soit assez gentil et agréable à regarder pour se replacer dans la zone « garçon potentiel » de son coeur, elle esperait cette fois que c’était la bonne, évidemment, sinon elle ne serait pas humaine, « la bonne » signifiant simplement avoir une relation classique avec lui, avec des disputes, des mots maladroits de la part de ce garçon pourtant attentionné, des gestes gauches de ses mains parfaites, et des larmes dans son regard Or.
Lundi. Elle prend le temps d’aller chez le coiffeur, armée d’une photo de magazine comme exemple, c’est sa première sortie depuis 10 jours, elle s’est faite propre, a pris le soin de s’habiller avec son jean simplement évasé sur ses Converses Anthracite, un hoodies Iron Maiden de 1988 original sorti de son propre placard de l’époque, des moufles qu’elle a tricotées elle-même, un bonnet noir de laine épaisse qui gratte le haut des oreilles mais réchauffe comme un matou endormi, elle a pris son grand sac en bandoulière pour y caser les magazines qu’elle se gardait pour patienter pendant la couleur.
Des garçons croisent son regard, un a même sourit, « pas maintenant » se dit-elle, « repasse me sourire plus tard, pas maintenant ». Elle pousse la porte vitrée et tend la photo à la néo-punkette anciennement racaille-style de chez Stephan’, évidemment elle s’extasie sur le choix merveilleux et ravissant, té, connasse, on choisit pas des coiffures de plix pour se refaire un moral hein, putain d’executante, elle s’était mise à haïr ces petits boulots à trente centimes, les secrétaires, les commerciaux, les techos de la hot line, toute une bande de putain d’incapables sous cultivés qui triment pour gagner leur smicos ou leur prime de vente de 50 euros par mois dans l’espoir de choper un DVD de plus chez Leclerc, ou une soirée entre amis dans un bar pseudo branché où ils payeront leur tour de bouteille et boufferont des pates le reste du mois.
Cette coiffeuse était un parfait exutoire de sa haine de l’être humain actuel, mais elle ne put s’empêcher de sourire à ses discussions légères, finalement, malgré tout, elle était sympathique.
Fichue anthropophilie, elle ne peut se forcer à détester les gens, il faut toujours qu’elle leur trouve une excuse, ou pire, un coté appréciable, même au plus sombre des enfoirés qui la quittent sans même l’avoir prise comme amante auparavant.
Assurée par ses nouveaux cheveux, elle appelle son chef et lui signale son retour le lendemain, la fin de la crise passagère, et le nouveau départ, prète à sombrer dans son taf pour se sauver la vie, prète à passer à nouveau des heures sur Flash, des heures à créer, à faire quelque chose de ses mains et de son cerveau, prète à ressortir ses idées noires dans un layout sombre, sa haine dans des tons de rouge et des mouvements secs comme un coup de katana Onzo, si elle pouvait garder le sourire aujourd’hui, ce n’était que grâce à ca, grâce à son égout mental, quelques clics, une timeline et du vectoriel pour pouvoir vivre avec les hommes, cette bande d’incapables, et avec les femmes cette bande de rapaces. Son cerveau se rempli petit à petit d’idées qui s’entrechoquent, se rangent par petits groupes, se placent chronologiquement, elle commence à voir apparaître les images qu’elle voudrait que sa main crée, petit à petit, le flux se régularise, mais reste épais et violent, son esprit est occupé, veuillez répeter votre sourire plus tard monsieur, son esprit est occupé, veuillez répeter votre sourire plus tard monsieur, son esprit est occupé, veuillez répeter votre sourire plus tard monsieur …
Ce post fait suite aux textes N’importe Saouak I et II que vous trouverez dans la rubrique « Pensées (TxT) » dans le menu de droite, classés dans l’ordre chronologique inverse.